Christiane Borras. La mémoire vivante.
Détermination et conviction intactes, malgré ses 86 printemps, Christiane Borras
n’a rien perdu de la fougue de sa jeunesse. Son regard vif trahit un dynamisme à
toute épreuve servi par une vie bien remplie et largement marquée par des évènements douloureux restés à jamais gravés dans sa mémoire. Elle a eu besoin de 20 ans. 20 ans pour ne plus être persécutée par ses cauchemars.
Mais elle n’a pas trop d’une vie entière pour témoigner. Une vie de luttes et de batailles
où souvenirs et militantisme sont intimement liés. Ancienne déportée d’Auschwitz,
Christiane Borras n’a rien d’une femme soumise et effacée. Battante et extrêmement
volontaire, elle est aujourd’hui l’un des porte-drapeaux de « Mémoire vive », une
association de déportés dont la principale activité est le devoir de mémoire auprès des
jeunes.
Bretonne d’adoption depuis seulement quatre ans, Christiane Borras a gardé un
soupçon d’accent « titi parisien »… Son franc-parler et son allure volontaire traduisent
toute sa personnalité qui fait d’elle « Une » personnalité ! Arpentant encore et toujours la
Bretagne et la France, cette femme force l’admiration car si la vie ne l’a guère épargnée,
elle a su puiser une force incroyable à travers toutes les épreuves qu’elle a traversées.
Tempérament rebelle, née à Calais en 1915 dans un milieu très pauvre, elle n’a que deux ans lorsque sa
mère, divorcée d’un marin de la marine marchande, débarque à Paris avec les réfugiés
mineurs du Nord de la France. Peu de temps après, sa mère se remarie avec un peintre.
L’ambiance à la maison est plutôt bohême, et la faim souvent au rendez-vous. L’école se
trouve à 2 km de chez elle, elle s’y rend chaque matin avec l’un de ses frères. A 13 ans
certificat d’études en poche, elle entre dans un atelier de fourrure comme couturière.
Mariée à 16 ans à un employé des postes syndicaliste, maman d’une petite fille en
1934, elle divorce en 1936. Avec un beau-père anarchiste, une mère écrivain public qui
lui conseille de « ne jamais se laisser faire », Christiane Borras évolue dans un contexte
familial contestataire. Un milieu où s’épanouit son tempérament rebelle qui la pousse à
adhérer en 1935 au parti communiste et au syndicat CGT.
Elle manifeste en 1934, en 1936, aide les réfugiés de la Guerre d’Espagne, et sent
déjà le fascisme arriver à grandes enjambées. Son côté « perturbateur » lui vaut d’être
régulièrement exclue de son travail chaque 1er mai ! Avec le recul, elle en sourit encore.
Arrêtée en 42 -
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle poursuit la lutte de plus belle. « Si les
gens avaient su, s’étaient informés, ils auraient sans doute compris le danger » explique-t-
elle dépitée. « Lorsque Daladier a offert la Tchécoslovaquie aux Allemands en 1938, il
aurait dû y avoir une grève générale. Quand j’ai entendu passer le premier métro ce
matin-là j’ai compris que tout était fini, que les Français avaient baissé les bras » se
souvient-elle avec tristesse et amertume.
En 1939, le PC entre dans l’illégalité. Elle continue son travail de militante et
distribue des tracts antiallemands. Les arrestations se multiplient.
En 1942, elle se sent surveillée et déménage juste avant que son groupe ne soit arrêté
le 19 juin. Mais le répit n’est que de courte durée. Le 7 août au matin, un Français de la
brigade spéciale la conduit à la préfecture. Interrogée, Cécile (c’est alors son nom de
résistante) se retrouve au dépôt pendant 10 jours. Les Allemands ont alors besoin
d’otages, et elle est envoyée à Romainville le 20 août. Elles sont alors 230 femmes
rassemblées et qui tentent de maintenir un certain moral. Elles créent des pièces de
théâtre, chantent des chansons populaires de toutes les provinces françaises, suivent
des cours d’italien.
Auschwitz -
Mais le 23 janvier 1943 c’est l’horrible départ vers le camp d’extermination
d’Auschwitz-Birkenau. Trois jours dans un train et puis l’enfer. En arrivant elles
chantent La Marseillaise… pour montrer qu’il y a encore un espoir. Cet espoir qui leur
permet de survivre au froid terrible, à la faim, aux humiliations, à toutes les atrocités des
camps. « Nous étions là pour mourir, le plus vite possible » raconte-t-elle.
A partir du 1er mai 43, elle se retrouve dans un commando « scientifique » et
participe à des recherches sur des plantes susceptibles de fournir du caoutchouc…
recherches qu’elle sabote volontiers ! Puis elle est envoyée dans les mines de sel en
août 1944. Dans une usine à 600 m sous terre, elle façonne des boulons pour les V1 et
les V2. Là encore elle s’arrange pour saboter au passage les outils destinés à l’armée
allemande. Une façon comme une autre de résister, toujours et encore !
Le 20 avril 45, la délivrance est proche. Entassées à 105 dans un wagon, les
déportées se dirigent vers un camp situé au nord de l’Allemagne. A l’arrivée, le camp est
fermé. Le convoi fait donc route vers la frontière du Danemark. C’est là que le 1er mai 45,
elle est enfin remise aux mains des Danois. Elle fait partie des 49 survivantes de ce
convoi du 23 janvier qui retrouvent la liberté… 14 seulement sont encore vivantes
aujourd’hui.
Reprendre la lutte -
Dès lors, meurtrie à jamais, toujours plus déterminée, elle continue son combat.« Lorsque l’on sort de là, on ne peut pas perler, on ne nous croirait pas ! » note-t-elle.
Alors il faut peu à peu se reconstruire. Mais le souvenir de ces camps de la mort est
toujours présent, les cauchemars éprouvants.
En rentrant en France, elle travaille notamment pour l’amicale d’Auschwitz. En 1949,
elle se remarie avec un déporté et milite à nouveau au PC. Durant de nombreuses
années, elle se rend souvent en RDA et en URSS. Mais aujourd’hui, elle ne s’y retrouve
plus.« Les temps ont changé, c’est une vraie mafia qui gouverne » affirme-t-elle avec la
fougue qui l’anime. Militante de la première heure, elle est toujours aussi avide de justice
et d’égalité, à la recherche de cet idéal qui est le sien. Même si elle ne comprend plus
très bien les dirigeants du PC actuel – « ils sont trop mous » dit-elle – elle continue la
lutte. A 86 ans, arrivée en Bretagne pour rejoindre son fils installé dans la région
guingampaise, elle est toujours prête à défendre la veuve et l’orphelin, mais surtout, elle
reste convaincue qu’il ne faut pas oublier.
Faire comprendre aux jeunes générations -
Vice-présidente nationale et membre très active de « Mémoire vive », une
association d’anciens déportés créée en 1996, elle se rend dans les collèges et les
lycées pour informer, pour témoigner, pour expliquer, pour que les jeunes sachent ce
qu’ont été la Résistance et la déportation. Souvent sollicitée par les établissements
scolaires, interrogée par les enfants, elle ne se lasse pas de ces rencontres qu’elle sait
constructives et enrichissantes.
« Se sentir utile, voilà ce qui m’intéresse aujourd’hui ». Les jeunes posent beaucoup
de questions sur les conditions de vie dans les camps. Elle leur répond, leur apporte son
témoignage parfois difficile à entendre, parfois cru, mais toujours sincère. Il lui arrive de
les accompagner, ces jeunes, dans des lieux symboliques, chargés d’histoire, pour mieux
leur ouvrir les yeux et le coeur. C’est souvent dur et saisissant pour les élèves qui se
trouvent confrontés à une réalité qu’ils n’imaginaient pas.
Alors, tant que ses jambes la porteront, tant qu’elle pourra poursuivre ce combat, elle
le fera. Pour contrer le néo-nazisme qui grandit ici et là et qui fait peur ; pour ceux qui
sont morts là-bas ; pour ceux qui ont souffert… Pour qu’il n’y ait plus jamais ça !
Mémoire vive -
L’association « Mémoire vive » a été créée par les anciens déportés d’Auschwitz-
Birkenau issus des convois des « 45 000 » et des « 31 000 », ainsi appelés en raison
des séries de matricules attribués lors de l’entrée au camp aux prisonniers. 1 175
hommes partirent ainsi le 6 juillet 1942 et 230 femmes le 24 janvier 1943. Presque tous
furent arrêtés par la police française qui les livra à la Gestapo. Pour les nazis qui
voulaient par ces déportations créer un climat de terreur dans la population française, ilsétaient destinés à disparaître sans laisser de traces. Ces déportés originaires de toutes
les régions de France, de tous horizons politiques et de toutes les couches sociales,
furent décimés dès les premiers mois de captivité. Seuls 119 hommes et 49 femmes
survécurent grâce à une solidarité et une dignité exemplaires.
L’association qui regroupe aujourd’hui 800 familles, a comme principal objectif le
devoir de mémoire, en particulier auprès des jeunes. Expositions, interventions, vidéos
permettent de transmettre les informations.
L’association organise également des voyages sur des lieux de la Résistance ou dans
les anciens camps de concentration. Editant un bulletin trimestriel, elle prépare
actuellement son assemblée générale qui aura lieu à Nantes à l’automne prochain.
Source : Article Le Télégramme, 2001. Auteur : Véronique Le Bageusse. |