Christiane Borras, élevée au grade de Commandeur au titre du Ministère de la Défense
Journal Ouest-France du 28 mai 2008

Christiane Borras gardera toute sa vie la trace de sa déportation sur son bras gauche.
«A Auschwitz, j'étais le matricule 31650»

C'est par courrier arrivé à son appartement de la rue Saint-Yves, que Christiane Borras a appris la nouvelle. « Je n'ai rien demandé, précise-t-elle. D'ailleurs, pour l'instant, je ne l'ai pas et je me demande bien qui va me la remettre. » Joli sourire, caractère bien trempé et une mémoire qui ne fait pas défaut, cette militante communiste de toujours s'est battue toute sa vie « contre l'injustice ». Et elle continue.

Née à Calais, en 1915, elle a passé la majeure partie de sa vie en région parisienne. «Je ne suis arrivée à Guingamp qu'il y a une dizaine d'années, parce que mon fils qui habite Saint-Péver m'a proposé de me rapprocher de lui.»

En 1939, quand arrive la 2e Guerre mondiale, Christiane est encartée au Parti communiste depuis déjà 4 ans. Elle devient vite agent de liaison et elle est chargée de transporter d'un point à un autre des tracts anti-nazis du PC. Son nom de résistante c'est Cécile. Mais l'été 1942, alors qu'elle se balade en plein Paris, elle est reconnue par un policier français qui l'attrape et l'emmène à la préfecture. Elle sera déportée six mois plus tard, le 23 janvier 1943. «J'ai fait partie du « convoi des 230», le seul convoi de femmes déportées à Auschwitz-Birkenau pour raisons politiques. » Elle y restera plusieurs mois, au cours desquels avec des amies, elles vont tout faire pour garder le moral des prisonnières, notamment grâce au théâtre. Elle ne reviendra en France qu'à la fin du mois de juin 1945.

Elle est maman de trois enfants et plusieurs fois grand-mère. Sa distinction à l'ordre de Commandeur de l'Ordre National du Mérite, elle l'a reçue pour ses actes de résistance mais aussi pour son action au sein de l'association «Mémoire vive». Elle continue d'ailleurs de témoigner à la demande dans les écoles.

Recueilli par  Nicolas DENOYELLE  

Christiane Borras est la maman de "Pierrot".            


Christiane, résistante
"à Auschwitz, il y avait une montagne de cadavres"

Le 24 janvier 1943, Christiane Borras était déportée vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne. Sur les 230 femmes du convoi, seulement 49 survivront et rentreront en France, après la libération.


Tatoué sur l'avant-bras, son matricule de déportée à Auschwitz-Birkenau, le camp d'extermination nazi en Pologne

Christiane Borras était une résistante à l'occupant allemand. Dans son réseau, on l'appelait "Cécile". Capturée par les allemands, elle est déportée vers Auschwitz-Birkenau le 24 janvier 1943. Dans le convoi qui l'emmène en Pologne, elle partage un wagon avec 230 autres femmes. Des résistantes, elles aussi. L'issue ne fait guère de doute mais elle ne le sait pas encore : les nazis ont annoté les documents du convoi avec la mention "retour non souhaité". Quand Christiane arrive au camp, c'est le choc : « Il y avait une montagne de cadavres. La tête que j'ai fait quand j'ai vu ça ! » , se souvient-elle. Aujourd'hui, Christiane a 99 ans mais les images sont encore vivaces comme la peur de voir ces jours sombres revenir. Les déportées sont logées en fonction de leurs nationalités. Les françaises sont dans le bloc 26. Tout près du bloc 25, celui où sont cantonnées celles qui vont être gazées... Elles étaient 230 femmes dans le convoi de Christiane, seules 49 sont rentrées d'Auschwitz-Birkenau. 

Reportage de Séverine Breton et Christophe Rousseau : FR3 Bretagne - la rédaction - Publié le 28/01/2015

Auschwitz-Brikenau : "une montagne de cadavres !"


Christiane Borras. La mémoire vivante.

Détermination et conviction intactes, malgré ses 86 printemps, Christiane Borras n’a rien perdu de la fougue de sa jeunesse. Son regard vif trahit un dynamisme à toute épreuve servi par une vie bien remplie et largement marquée par des évènements douloureux restés à jamais gravés dans sa mémoire.

Elle a eu besoin de 20 ans. 20 ans pour ne plus être persécutée par ses cauchemars. Mais elle n’a pas trop d’une vie entière pour témoigner. Une vie de luttes et de batailles où souvenirs et militantisme sont intimement liés. Ancienne déportée d’Auschwitz, Christiane Borras n’a rien d’une femme soumise et effacée. Battante et extrêmement volontaire, elle est aujourd’hui l’un des porte-drapeaux de « Mémoire vive », une association de déportés dont la principale activité est le devoir de mémoire auprès des jeunes.

Bretonne d’adoption depuis seulement quatre ans, Christiane Borras a gardé un soupçon d’accent « titi parisien »… Son franc-parler et son allure volontaire traduisent toute sa personnalité qui fait d’elle « Une » personnalité ! Arpentant encore et toujours la Bretagne et la France, cette femme force l’admiration car si la vie ne l’a guère épargnée, elle a su puiser une force incroyable à travers toutes les épreuves qu’elle a traversées.

Tempérament rebelle, née à Calais en 1915 dans un milieu très pauvre, elle n’a que deux ans lorsque sa mère, divorcée d’un marin de la marine marchande, débarque à Paris avec les réfugiés mineurs du Nord de la France. Peu de temps après, sa mère se remarie avec un peintre. L’ambiance à la maison est plutôt bohême, et la faim souvent au rendez-vous. L’école se trouve à 2 km de chez elle, elle s’y rend chaque matin avec l’un de ses frères. A 13 ans certificat d’études en poche, elle entre dans un atelier de fourrure comme couturière. Mariée à 16 ans à un employé des postes syndicaliste, maman d’une petite fille en 1934, elle divorce en 1936. Avec un beau-père anarchiste, une mère écrivain public qui lui conseille de « ne jamais se laisser faire », Christiane Borras évolue dans un contexte familial contestataire. Un milieu où s’épanouit son tempérament rebelle qui la pousse à adhérer en 1935 au parti communiste et au syndicat CGT. Elle manifeste en 1934, en 1936, aide les réfugiés de la Guerre d’Espagne, et sent déjà le fascisme arriver à grandes enjambées. Son côté « perturbateur » lui vaut d’être régulièrement exclue de son travail chaque 1er mai ! Avec le recul, elle en sourit encore.

Arrêtée en 42 - Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle poursuit la lutte de plus belle. « Si les gens avaient su, s’étaient informés, ils auraient sans doute compris le danger » explique-t- elle dépitée. « Lorsque Daladier a offert la Tchécoslovaquie aux Allemands en 1938, il aurait dû y avoir une grève générale. Quand j’ai entendu passer le premier métro ce matin-là j’ai compris que tout était fini, que les Français avaient baissé les bras » se souvient-elle avec tristesse et amertume.

En 1939, le PC entre dans l’illégalité. Elle continue son travail de militante et distribue des tracts antiallemands. Les arrestations se multiplient. En 1942, elle se sent surveillée et déménage juste avant que son groupe ne soit arrêté le 19 juin. Mais le répit n’est que de courte durée. Le 7 août au matin, un Français de la brigade spéciale la conduit à la préfecture. Interrogée, Cécile (c’est alors son nom de résistante) se retrouve au dépôt pendant 10 jours. Les Allemands ont alors besoin d’otages, et elle est envoyée à Romainville le 20 août. Elles sont alors 230 femmes rassemblées et qui tentent de maintenir un certain moral. Elles créent des pièces de théâtre, chantent des chansons populaires de toutes les provinces françaises, suivent des cours d’italien.

Auschwitz - Mais le 23 janvier 1943 c’est l’horrible départ vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Trois jours dans un train et puis l’enfer. En arrivant elles chantent La Marseillaise… pour montrer qu’il y a encore un espoir. Cet espoir qui leur
permet de survivre au froid terrible, à la faim, aux humiliations, à toutes les atrocités des camps. « Nous étions là pour mourir, le plus vite possible » raconte-t-elle. A partir du 1er mai 43, elle se retrouve dans un commando « scientifique » et participe à des recherches sur des plantes susceptibles de fournir du caoutchouc… recherches qu’elle sabote volontiers ! Puis elle est envoyée dans les mines de sel en août 1944. Dans une usine à 600 m sous terre, elle façonne des boulons pour les V1 et les V2. Là encore elle s’arrange pour saboter au passage les outils destinés à l’armée allemande. Une façon comme une autre de résister, toujours et encore ! Le 20 avril 45, la délivrance est proche. Entassées à 105 dans un wagon, les déportées se dirigent vers un camp situé au nord de l’Allemagne. A l’arrivée, le camp est fermé. Le convoi fait donc route vers la frontière du Danemark. C’est là que le 1er mai 45, elle est enfin remise aux mains des Danois. Elle fait partie des 49 survivantes de ce convoi du 23 janvier qui retrouvent la liberté… 14 seulement sont encore vivantes aujourd’hui.

Reprendre la lutte - Dès lors, meurtrie à jamais, toujours plus déterminée, elle continue son combat.« Lorsque l’on sort de là, on ne peut pas perler, on ne nous croirait pas ! » note-t-elle. Alors il faut peu à peu se reconstruire. Mais le souvenir de ces camps de la mort est toujours présent, les cauchemars éprouvants. En rentrant en France, elle travaille notamment pour l’amicale d’Auschwitz. En 1949, elle se remarie avec un déporté et milite à nouveau au PC. Durant de nombreuses années, elle se rend souvent en RDA et en URSS. Mais aujourd’hui, elle ne s’y retrouve plus.« Les temps ont changé, c’est une vraie mafia qui gouverne » affirme-t-elle avec la fougue qui l’anime. Militante de la première heure, elle est toujours aussi avide de justice et d’égalité, à la recherche de cet idéal qui est le sien. Même si elle ne comprend plus très bien les dirigeants du PC actuel – « ils sont trop mous » dit-elle – elle continue la lutte. A 86 ans, arrivée en Bretagne pour rejoindre son fils installé dans la région guingampaise, elle est toujours prête à défendre la veuve et l’orphelin, mais surtout, elle reste convaincue qu’il ne faut pas oublier.

Faire comprendre aux jeunes générations
- Vice-présidente nationale et membre très active de « Mémoire vive », une association d’anciens déportés créée en 1996, elle se rend dans les collèges et les lycées pour informer, pour témoigner, pour expliquer, pour que les jeunes sachent ce qu’ont été la Résistance et la déportation. Souvent sollicitée par les établissements scolaires, interrogée par les enfants, elle ne se lasse pas de ces rencontres qu’elle sait constructives et enrichissantes. « Se sentir utile, voilà ce qui m’intéresse aujourd’hui ». Les jeunes posent beaucoup de questions sur les conditions de vie dans les camps. Elle leur répond, leur apporte son témoignage parfois difficile à entendre, parfois cru, mais toujours sincère. Il lui arrive de les accompagner, ces jeunes, dans des lieux symboliques, chargés d’histoire, pour mieux leur ouvrir les yeux et le coeur. C’est souvent dur et saisissant pour les élèves qui se trouvent confrontés à une réalité qu’ils n’imaginaient pas. Alors, tant que ses jambes la porteront, tant qu’elle pourra poursuivre ce combat, elle le fera. Pour contrer le néo-nazisme qui grandit ici et là et qui fait peur ; pour ceux qui sont morts là-bas ; pour ceux qui ont souffert… Pour qu’il n’y ait plus jamais ça !

Mémoire vive - L’association « Mémoire vive » a été créée par les anciens déportés d’Auschwitz- Birkenau issus des convois des « 45 000 » et des « 31 000 », ainsi appelés en raison des séries de matricules attribués lors de l’entrée au camp aux prisonniers. 1 175 hommes partirent ainsi le 6 juillet 1942 et 230 femmes le 24 janvier 1943. Presque tous furent arrêtés par la police française qui les livra à la Gestapo. Pour les nazis qui voulaient par ces déportations créer un climat de terreur dans la population française, ilsétaient destinés à disparaître sans laisser de traces. Ces déportés originaires de toutes les régions de France, de tous horizons politiques et de toutes les couches sociales, furent décimés dès les premiers mois de captivité. Seuls 119 hommes et 49 femmes survécurent grâce à une solidarité et une dignité exemplaires. L’association qui regroupe aujourd’hui 800 familles, a comme principal objectif le devoir de mémoire, en particulier auprès des jeunes. Expositions, interventions, vidéos permettent de transmettre les informations. L’association organise également des voyages sur des lieux de la Résistance ou dans les anciens camps de concentration. Editant un bulletin trimestriel, elle prépare actuellement son assemblée générale qui aura lieu à Nantes à l’automne prochain.

Source : Article Le Télégramme, 2001. Auteur : Véronique Le Bageusse.